mardi 30 octobre 2018

La rédemption du rouge mort








J'étais persuadé d'avoir publié ici même mon avis sur le premier Red Dead Redemption, que j'avais retourné sur PS3, lors de l'hiver 2014.
Je n'ai plus que des souvenirs, désormais balayés par l'intense The Witcher 3.
Par contre, je m'étais juré de jouer à la suite. J'en ai le souvenir d'un désert immense, parcouru à cheval aux rythme des rencontres et des révolutions à mener. Je me souviens aussi d'un récit mémorable, digne d'une série télévisée réussie, au cœur du Far-West. Avec les aventures de Géralt j'ai retrouvé ce fleuve narratif, extrapolé par un univers incroyable.
Ces deux œuvres m'ont fait constater que, même si mes habitudes vidéoludiques sont construites d'expériences de jeux indépendants, les seuls jeux capables de me happer littéralement, de me rendre étanche au monde réel pendant quelques heures, ce sont ces triples A vendus par millions, se déroulant dans un "monde ouvert".

J'ai joué à GTA, à Assassin's Creed, mais aucun de ces opus n'a su capter mon attention suffisamment longtemps pour que je souhaite en parvenir à la fin. Si tant est qu'ils en aient une.
Alors que la fin de RDR1, mes aïeux, quelle affaire ! Celle de TW3, quelle épique conclusion !!
J'ai besoin d'être porté, j'ai besoin d'être bercé et de contempler. Si la difficulté est trop élevée, je ne prends pas goût à suivre, car je subis. Je ne suis pas ce que l'on nomme un "joueur du noyau dur", ni même un "joueur occasionnel". Je définirai ce comportement de "joueur acteur". Même si je ne suis pas friand des jeux comme "films interactifs" façon Telltale. Non, je cherche à m’identifier au personnage, qu'il me raconte son histoire et que je l'aide à réussir. C'est tout. Je n'ai pas à prouver un quelconque talent de joueur ou à partager mon expérience avec autrui. Je joue à un jeu comme je lis un bon bouquin, ou je regarde l’œuvre d'un grand cinéaste.

C'est pour cela que l'achat d'une console Nintendo et la dépense de 200 heures de jeu sur Zelda - Breath of the Wild m'a laissé un peu perplexe. Ce jeu mise sur la découverte d'un monde et la complétion de son univers. La narration est presque absente et quasiment malvenue (à mon sens). J'ai pris du plaisir à escalader les montagnes pour découvrir qu'à Akkala les feuilles des arbres ont la couleur orangée de l'automne... A assembler plusieurs éléments pour confectionner une chouette recette. Et à préférer la marche plutôt que la chevauchée (ce que j'avais déjà fait dans TW3). Je ne l'ai toujours pas terminé, je souhaite trouver tous ses secrets avant d'entrer dans le château. 





A l'annonce d'un Red Dead Redemption 2, une première inquiétude. Ce jeu ne sortira pas rapidement sur PC. Si je ne veux pas me faire déflorer par internet, je vais devoir l'acheter sur PS4. Au fur et à mesure que la ferveur montait, je me préparais. J'ai trouvé une PS4 pro, j'ai terminé quelques jeux que je faisais durer. J'étais forcément en train de me faire avoir. Jamais je n'avais acheté de jeu le jour de sa sortie. Jamais.
Forcément la "presse" et les médias ont survendu le jeu bien avant qu'on l'attende. Alors que j'ai toujours été un joueur patient, je n'ai pas tenu. Je ne sais pas si je suis plus la victime d'un marketing ultra agressif ou si l'achat de ce jeu le jour de sa sortie était quelque chose de normal, vu mes habitudes et mes besoins vidéoludiques.
Bien sur que oui, j'aurais pu attendre une bonne année avant de m'équiper et d'y jouer. Le bon sens même aurait voulu que j'attende au moins les retours critiques. La question que je me pose désormais est "pourquoi aurais-je du attendre ?". Alors que de toute façon il FALLAIT que j'y joue. Ne serait-ce que pour me faire mon propre avis ! Donc oui, pourquoi attendre ?



Alors vous pouvez lire différents avis sur ce jeu. Certains sont dithyrambiques, d'autres vraiment très mesurés. Beaucoup sont déçus, d'autres sont exaltés.
J'ai joué une bonne dizaine d'heures, sans aller consulter d'avis extérieurs autres que mes copains y jouant aussi.
Une chose est sure, je ne suis pas déçu. Je ne crierais cependant pas au chef d’œuvre, du chef d’œuvre il y en a chez TW3, Limbo ou AoE2. Pas de révolution non plus. Simplement un panard. Le plaisir vidéoludique total. Le plaisir de gambader dans la prairie. Le plaisir de chercher son chapeau dans les hautes herbes. Le plaisir de se bourrer la gueule puis de se battre dans la boue. Ou le plaisir de chercher le meilleur point de vue sur le coucher de soleil. Ce jeu n'est certes pas parfait, moi je lui demande de m'emporter dans une histoire, avec une atmosphère, dans un drôle de bled. Et il fait ça très bien.
Mais ce n'est pas un jeu que je conseillerai à tout le monde. Il faut savoir y trouver son compte et tout le monde ne le trouveras pas. J'ai un peu ce même rapport avec Rohmer ou Pialat. Tu sais que ça va être long ou chiant, verbeux, que ça va te malmener un peu. Il va falloir te forcer un peu pour percer l'inattendu et au final tu trouveras ça formidable. Et pis surtout, qu'est ce que c'est beau à regarder.

Je terminerai sur la polémique qui a secoué la sortie de RDR2. Depuis quelques temps, les journalistes vidéoludiques consciencieux commencent à soulever le tapis et dévoilent les systèmes de fonctionnement de certaines entreprises du jeu vidéo.
Comme c'est un média "récent", dans un milieu restreint et peu encadré (malgré l'existence d'un code du travail, il parait), il s'y est développé une sorte de rapport au "travail passion" poussant des entreprises à contraindre leurs employés au "crunch", ou "charrette" en français. Il s'agit d'une période de travail où l'employé ne fait que consacrer sa vie à son entreprise, au développement d'un jeu en cours par exemple, afin de pouvoir assurer la date de sortie du jeu.
Le prétexte apporté est celui du travail comme une passion, d'un dévouement de la personne pour une entreprise reflétant ses idéaux.
Rockstar, comme de nombreux autres studios, est pointé du doigt par des enquêtes à charge. (ici)
En France, un mouvement de boycott a été lancé contre le studio Quantic Dream. (articles de Canard PC et Mediapart, accès payant).
S'il est facile de boycotter QD car leurs jeux sont médiocres, il s'avère plus délicat de le faire pour Rockstar. L'affaire des lootboxes chez EA pour StarWars Battlefront 2, suivi d'un énorme boycott, n'a pas empêché les ventes. EA de son côté a revu sa copie suite à la "tempête de caca" sur les internettes. Le boycott n'est pas un moyen de pression possible contre Rockstar, il aurait dans tous les cas été trop peu suivi pour être décisif. La seule solution contre ces méthodes de travail d'un autre (ou nouvel??) âge est la prise de conscience des employés eux même, soutenus par l'opinion publique (et des syndicats). En France, des changements opèrent, malgré un milieu de niche où chacun se connait. Malheureusement, le jeu vidéo n'est pas le seul domaine où ce type de fonctionnement a lieu...

Bref.

Red Dead Redemption 2 est un paradoxe cruel. Agréable et douloureux. Nécessaire et futile.
Une belle métaphore du jeu vidéo en somme. 


PS: Les images d'illustration sont là pour faire croire que je ne joue qu'à des simulateurs de balade à cheval dans la campagne. Ce qui n'est pas franchement éloigné de la réalité.


Retour après bouclage:

Un peu plus d'un mois après la sortie, j'ai terminé l'histoire principale du jeu, ainsi que l'ensemble des quêtes secondaires. Il me reste quelques missions annexes, les défis et les collections.

C'est simple, je n'ai jamais terminé aussi rapidement un jeu aussi long. D'abord parce que j'ai été happé, ensuite parce qu’il ne m'a opposé aucune difficulté.
Je peux donc distinguer deux soucis majeurs. Le premier est l'absence total de défi. Sans doute car j'ai joué en visée auto, sans quoi je n'aurais rien pu faire, j'ai roulé sur le jeu. Ce problème est lié au second, le verrouillage de la narration et du gameplay.
Au cours des différentes quêtes, le jeu prend la main du joueur, la tient bien fort et l'emmène où il doit aller en lui disant quoi faire. Le joueur ne peut rien choisir. Il ne peut pas choisir l'issue d'un évènement et les conséquences qui en découleraient. Et il ne peut pas choisir la manière dont il peut effectuer ses actions.
Par exemple. On doit infiltrer un endroit pour y trouver quelque chose. Ce lieu est vaste et bien gardé. On pourrait choisir de passer par ici, par là, tuer discrètement au couteau, sniper à l'arc, tendre un piège, mettre le feu...etc... Et bien non, le joueur doit suivre un PNJ qui le guide en lui disant quoi faire, et ce de façon systématique.
Alors certes, cela n'enlève absolument rien au plaisir d'effectuer l'action. Mais c'est un peu comme visiter un gigantesque parc d'attraction sans pouvoir choisir celles que l'on va faire...
Cette absolue rigidité est très frustrante. Surtout quand on vient de Zelda où c'est le contraire, où le joueur doit se démerder avec un bâton, un parachute et une pomme.
Ce gameplay frigide peut refroidir les ardeurs de n'importe quel joueur qui n'accrocherait pas à l'histoire.

Ma copine m'a dit "en fait c'est un film interactif pendant lequel tu as des pauses pour aller chasser".
Les phases de "liberté" alimentent la frustration car elles permettent de mesurer l'ampleur des possibilités données par l'univers, la profondeur des territoires, des peuples et de la nature. J'ai l'impression que Rockstar a eut peur de laisser au joueur la possibilité de faire n'importe quoi et de saccager son petit bijou. J'en veux pour preuve le système d'honneur, qui récompense les joueurs "bons" et punit les "mauvais".

J'ai pourtant passé une cinquantaine d'heures sur ce jeu, effectuant méthodiquement chaque quête que je ne pourrais retrouver une fois le jeu "terminé". Tout mon temps libre y est passé. Simplement parce que l'aventure proposée m'a passionné.
On retrouve les personnages du premier opus, on apprend leur histoire, leurs relations, leurs tensions, leurs déboires. Le personnage principal est d'une consistance rarement rencontrée en jeu vidéo. La fin est terrible, le scénario malmène le joueur, même si il sait comment cela se termine.
Et surtout, les voyages en poney, qui constituent 50% du temps de jeu, sont une façon de vivre le jeu pleinement, de découvrir le monde, d'interagir avec lui avec une forte impression d’immersion. On se laisse porter, brinquebaler sur son petit cheval, au gré des trajets à travers une végétation mouvante.

Ce n'est pas le chef d’œuvre que l'on attendait, ce n'est pas le jeu ultime comme a pu l'être The Witcher 3 bien avant. Le dirigisme dont il souffre est trop handicapant lorsqu'on connait le potentiel de l'univers RDR2.
Mais j'espère très fort des ajouts, des quêtes encore plus fantaisistes et plus "libres".
Si vous n'avez pas l'argent pour partir en vacances, jouez à RDR2, le voyage vaut le détour.





PS:

Petit mémo pour celles et ceux qui seraient intéressés d'y jouer ou qui y jouent déjà: 

Prenez
votre

temps.

Ne rushez pas la trame principale. Tout ce qui est gagné est conservé à la fin du jeu.
J'ai terminé "rapidement" l'histoire, par peur d'être divulgaché de façon honteuse par internet ou les copains.

Le jeu est conçu en deux parties distinctes:

-l'histoire, rigide et dirigée
-l'exploration, libre et flexible


Allez de l'avant, vous ne gâcherez rien à découvrir la carte avant que le jeu vous y amène. En plus vous gagnerez en expérience et en équipement, ce qui est appréciable. Même si on peut faire l'ensemble du jeu planqué derrière un tonneau avec une carabine à répétition.
Il y a mille et un secrets à découvrir. Même si je prend encore du plaisir une fois le jeu terminé, il aurait été encore plus grand si j'avais encore une histoire à finir.

Bref, amusez vous et n'écoutez pas les râleurs blâmant un gameplay moisi et une interface de merde, le jeu est ailleurs.